DE L'OMBRE A LA LUMIERE
Samedi 30 novembre 2019, il est 20h00 et je viens d’arriver au parc des expositions de Saint Étienne. Une légère pluie et un froid déjà pénétrant me glacent dès la sortie de la voiture. Dans quelques heures, plusieurs milliers de personnes vont prendre le départ de la SaintéLyon, cette course pédestre mythique vieille de 66 ans. Ils devront parcourir les 78 km avec 2000 mètres de dénivelé positif qui les séparent de Lyon en moins de 16 heures et 30 minutes. Les plus rapides mettront moins de 6 heures.
En arrivant dans le premier gymnase je découvre des centaines de traileurs. Certains dorment emmitouflés dans leur duvet, d’autres discutent assis ou debout. Il règne dans cet espace une ambiance particulière. Le stress se lit sur les visages, tous attendent le moment du départ.
A l’entrée du second gymnase, l’émotion me submerge. Plusieurs milliers de personnes sont entassées dans cet espace clos, dans une cacophonie ambiante quasi insupportable. La tension est palpable, l’entassement exacerbe encore le stress. Ils patientent comme ils peuvent, ils attendent le moment où enfin ils se dirigeront vers la ligne de départ. Pour passer le temps, ils discutent, certains essaient de dormir, d’autres vérifient pour la énième fois leurs sacs, ils sont assis, debout, ils se photographient, … L’attente est pesante. Certains sont arrivés il y a plusieurs heures.
Le départ sera donné à 23h30, l’heure approche. Les premier coureurs vont déposer leurs sacs dans des camions, puis se dirigent tranquillement 300 mètres plus loin vers le départ. L’organisation, très bien calée, a mis à disposition des coureurs une douzaine de camions numérotés en fonction des dossards pour transporter les sacs jusqu’à l’arrivée.
Environ 7500 coureurs s’entassent sur la ligne de départ. Ils s’élanceront par vague de 1500. L’attente dans le froid est difficile et les coureurs luttent comme ils peuvent pour ne pas refroidir dans cette ambiance glacée. Quelques minutes avant le départ, des milliers de frontales s’allument. Le spectacle de ces lampes est impressionnant, pour certains il s’agit de la course d’une vie, pour d’autres d’une épreuve entre amis, mais pour tous, le moment est unique, spécial, laissant transparaître l’émotion sur les visages. Après les dernières consignes de sécurité d’un speaker déchaîné, le coup de feu retentit. 3000 jambes s’activent alors dans le froid. Les départs vont s’enchaîner pendant plus d’une demi heure. A chaque fois le même spectacle, les coureurs passent en un instant de la lumière à l’obscurité et disparaissent à petites foulées dans la nuit.
Toute la nuit, je vais essayer de suivre les coureurs à différents points de passage du parcours. Lorsque s’élance la dernière vagues de traileurs, je rejoins en voiture le village de Maubeu, ma première étape, où j’arrive à 0h30. Des trombes d’eau s’abattent sur le village et il fait froid. Déjà, les premiers coureurs sont passés, les autres suivent, perçant le rideau de pluie. Le village est petit, perdu, mais cette nuit, grace à quelques habitants bien motivés pour faire le show, il y règne une belle ambiance, amenant le sourire sur le visage des athlètes.
Non sans mal, entre mauvais temps et embouteillages, j’arrive à Valfleury ou je découvre une ambiance de folie. Les habitant ont allumé des feux pour réchauffer les participants. Il est 2h30 du matin, la nuit ne fait que commencer pour les coureurs sur un terrain très boueux où chaque appui doit être assuré. Une seconde d’inattention, une glissade malencontreuse, peuvent le contraindre à l’abandon.
3h15 du matin, j’arrive sur le stade de Saint Christo-en-Jarest. Il fait froid, il pleut énormément, je suis glacé, trempé. La scène qui se déroule à l’intérieur du stand de ravitaillement a de quoi surprendre. 300 personnes sont agglutinées les unes sur les autres dans une moiteur étouffante. Tous cherchent à prendre une boisson chaude, un thé, une soupe, avant de repartir dans l’obscurité. Beaucoup semblent hagards, presque perdus, certains tremblent, mais la plupart d’entre eux restent encore très concentrés.
4h30 du matin, je viens d’arriver au ravitaillement de Sainte Catherine, lieu emblématique de la course. Les habitués savent qu’un coureur qui n’a pas abandonné à Sainte Catherine a de grandes chances de finir la course. Il pleut toujours abondamment, il fait très froid. Ces conditions apocalyptiques et la fatigue marquent les visages, certains tremblent de manière compulsive. Beaucoup de participant rendent leur dossard, c’est trop dur, ils n’ont plus la force de poursuivre,
Après une courte pause les coureurs repartent sous les encouragement d’un public d’initiés plein de compassion. Peu à peu, ils disparaissent dans l’obscurité laissant pour seule preuve de leur passage la trace de leurs chaussures dans la boue. L’ambiance dans le village est irréelle, étrange, avec tous ces gens qui se croisent dans la nuit, sous la pluie, comme en pleine journée.
La nuit s’avance, la course continue. A 5h45, j’arrive, trempé, toujours aussi glacé, en haut de la descente du bois d’Arfeuille. Il fait très noir, seules les lampes frontales percent timidement l’obscurité. La scène est surréaliste, on se croirait sur la Lune. Les bénévoles sont là, pour guider les coureurs, les rassurer et en dépit de leur fatigue, les traileurs trouvent toujours la force de les remercier.
7H45, la pluie s’est calmée mais le froid est toujours très présent quand j’arrive au ravitaillement de Soucieux en Jarest à 7h45. Beaucoup de monde dans le gymnase. Les visages sont très fatigués, mais les regards déterminés. Le plus dur est fait, alors sauf grosse défaillance, les coureurs arrivés jusqu’ici iront au bout de l’aventure. Ils trouvent encore la force de discuter entre-eux, je reste là, à les écouter, les regarder errer dans la salle. Seule la force mentale leur permet de continuer, tel des zombies.
9H30, je fais une dernière halte à l’aqueduc de Beaunant avant de rentrer à Lyon à la Hall Tony Garnier. Le soleil s’est levé, il ne pleut plus, la file des coureurs s’étire de plus en plus.
10h00, à Lyon, je suis prêt pour photographier les finishers de cette 66ème édition. Ils ont couru environ 10h30 dans le froid, sous la pluie, sans dormir, seuls ou accompagnés, et pourtant quand ils font l’exploit de franchir la ligne d’arrivée, ils n’ont même plus la force d’exulter. Trop de fatigue sûrement.
17 000 coureurs au départ, 13 673 à l’arrivée, plus de 4 000 ont abandonné. Par sa difficulté, les conditions dantesques dans lesquelles elle s’est déroulée, la SaintéLyon a cette année encore entretenu sa légende. L’avoir suivie de l’intérieur, avoir partagé l’émotion, les difficultés et les confidences des traileurs a été pour moi un grand privilège.
Comme l’a si bien dit un des athlètes : « Être traileur, c’est être humble»
























Samedi 30 novembre 2019, il est 20h00 et je viens d’arriver au parc des expositions de Saint Étienne. Une légère pluie et un froid déjà pénétrant me glacent dès la sortie de la voiture. Dans quelques heures, plusieurs milliers de personnes vont prendre le départ de la SaintéLyon, cette course pédestre mythique vieille de 66 ans. Ils devront parcourir les 78 km avec 2000 mètres de dénivelé positif qui les séparent de Lyon en moins de 16 heures et 30 minutes. Les plus rapides mettront moins de 6 heures.
En arrivant dans le premier gymnase je découvre des centaines de traileurs. Certains dorment emmitouflés dans leur duvet, d’autres discutent assis ou debout. Il règne dans cet espace une ambiance particulière. Le stress se lit sur les visages, tous attendent le moment du départ.
A l’entrée du second gymnase, l’émotion me submerge. Plusieurs milliers de personnes sont entassées dans cet espace clos, dans une cacophonie ambiante quasi insupportable. La tension est palpable, l’entassement exacerbe encore le stress. Ils patientent comme ils peuvent, ils attendent le moment où enfin ils se dirigeront vers la ligne de départ. Pour passer le temps, ils discutent, certains essaient de dormir, d’autres vérifient pour la énième fois leurs sacs, ils sont assis, debout, ils se photographient, … L’attente est pesante. Certains sont arrivés il y a plusieurs heures.
Le départ sera donné à 23h30, l’heure approche. Les premier coureurs vont déposer leurs sacs dans des camions, puis se dirigent tranquillement 300 mètres plus loin vers le départ. L’organisation, très bien calée, a mis à disposition des coureurs une douzaine de camions numérotés en fonction des dossards pour transporter les sacs jusqu’à l’arrivée.
Environ 7500 coureurs s’entassent sur la ligne de départ. Ils s’élanceront par vague de 1500. L’attente dans le froid est difficile et les coureurs luttent comme ils peuvent pour ne pas refroidir dans cette ambiance glacée. Quelques minutes avant le départ, des milliers de frontales s’allument. Le spectacle de ces lampes est impressionnant, pour certains il s’agit de la course d’une vie, pour d’autres d’une épreuve entre amis, mais pour tous, le moment est unique, spécial, laissant transparaître l’émotion sur les visages. Après les dernières consignes de sécurité d’un speaker déchaîné, le coup de feu retentit. 3000 jambes s’activent alors dans le froid. Les départs vont s’enchaîner pendant plus d’une demi heure. A chaque fois le même spectacle, les coureurs passent en un instant de la lumière à l’obscurité et disparaissent à petites foulées dans la nuit.
Toute la nuit, je vais essayer de suivre les coureurs à différents points de passage du parcours. Lorsque s’élance la dernière vagues de traileurs, je rejoins en voiture le village de Maubeu, ma première étape, où j’arrive à 0h30. Des trombes d’eau s’abattent sur le village et il fait froid. Déjà, les premiers coureurs sont passés, les autres suivent, perçant le rideau de pluie. Le village est petit, perdu, mais cette nuit, grace à quelques habitants bien motivés pour faire le show, il y règne une belle ambiance, amenant le sourire sur le visage des athlètes.
Non sans mal, entre mauvais temps et embouteillages, j’arrive à Valfleury ou je découvre une ambiance de folie. Les habitant ont allumé des feux pour réchauffer les participants. Il est 2h30 du matin, la nuit ne fait que commencer pour les coureurs sur un terrain très boueux où chaque appui doit être assuré. Une seconde d’inattention, une glissade malencontreuse, peuvent le contraindre à l’abandon.
3h15 du matin, j’arrive sur le stade de Saint Christo-en-Jarest. Il fait froid, il pleut énormément, je suis glacé, trempé. La scène qui se déroule à l’intérieur du stand de ravitaillement a de quoi surprendre. 300 personnes sont agglutinées les unes sur les autres dans une moiteur étouffante. Tous cherchent à prendre une boisson chaude, un thé, une soupe, avant de repartir dans l’obscurité. Beaucoup semblent hagards, presque perdus, certains tremblent, mais la plupart d’entre eux restent encore très concentrés.
4h30 du matin, je viens d’arriver au ravitaillement de Sainte Catherine, lieu emblématique de la course. Les habitués savent qu’un coureur qui n’a pas abandonné à Sainte Catherine a de grandes chances de finir la course. Il pleut toujours abondamment, il fait très froid. Ces conditions apocalyptiques et la fatigue marquent les visages, certains tremblent de manière compulsive. Beaucoup de participant rendent leur dossard, c’est trop dur, ils n’ont plus la force de poursuivre,
Après une courte pause les coureurs repartent sous les encouragement d’un public d’initiés plein de compassion. Peu à peu, ils disparaissent dans l’obscurité laissant pour seule preuve de leur passage la trace de leurs chaussures dans la boue. L’ambiance dans le village est irréelle, étrange, avec tous ces gens qui se croisent dans la nuit, sous la pluie, comme en pleine journée.
La nuit s’avance, la course continue. A 5h45, j’arrive, trempé, toujours aussi glacé, en haut de la descente du bois d’Arfeuille. Il fait très noir, seules les lampes frontales percent timidement l’obscurité. La scène est surréaliste, on se croirait sur la Lune. Les bénévoles sont là, pour guider les coureurs, les rassurer et en dépit de leur fatigue, les traileurs trouvent toujours la force de les remercier.
7H45, la pluie s’est calmée mais le froid est toujours très présent quand j’arrive au ravitaillement de Soucieux en Jarest à 7h45. Beaucoup de monde dans le gymnase. Les visages sont très fatigués, mais les regards déterminés. Le plus dur est fait, alors sauf grosse défaillance, les coureurs arrivés jusqu’ici iront au bout de l’aventure. Ils trouvent encore la force de discuter entre-eux, je reste là, à les écouter, les regarder errer dans la salle. Seule la force mentale leur permet de continuer, tel des zombies.
9H30, je fais une dernière halte à l’aqueduc de Beaunant avant de rentrer à Lyon à la Hall Tony Garnier. Le soleil s’est levé, il ne pleut plus, la file des coureurs s’étire de plus en plus.
10h00, à Lyon, je suis prêt pour photographier les finishers de cette 66ème édition. Ils ont couru environ 10h30 dans le froid, sous la pluie, sans dormir, seuls ou accompagnés, et pourtant quand ils font l’exploit de franchir la ligne d’arrivée, ils n’ont même plus la force d’exulter. Trop de fatigue sûrement.
17 000 coureurs au départ, 13 673 à l’arrivée, plus de 4 000 ont abandonné. Par sa difficulté, les conditions dantesques dans lesquelles elle s’est déroulée, la SaintéLyon a cette année encore entretenu sa légende. L’avoir suivie de l’intérieur, avoir partagé l’émotion, les difficultés et les confidences des traileurs a été pour moi un grand privilège.
Comme l’a si bien dit un des athlètes : « Être traileur, c’est être humble»